La magie du flow, ou les deux temps d’innovation

Milija Šimleša
Humans Matter
Published in
5 min readMay 11, 2017

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Flow (décrit par Mihaly Csikszentmihalyi), l’état de grâce reflètant l’équilibre parfait entre les compétences et les défis

Le flow, état optimal de fonctionnement humain, a été très précisément décrit par le chercheur hongrois Mihaly Csikszentmihalyi et ensuite largement étudié par les chercheurs depuis plus de trois décennies. Cet état d’hyper-concentration, où l’individu perd la notion du temps et la conscience de soi, se manifeste lorsqu’il rencontre un équilibre parfait entre défis et compétences dans une tâche donnée. Le flow est connu comme un phénomène individuel et a été très peu étudié dans le cadre de situations de collaboration. Or, certains phénomènes de groupe se rapprochent de la notion de flow, par exemple lorsqu’un groupe de musiciens ou une équipe sportive réussit à se dépasser dans une performance collective. Nous nous demandons si ces mêmes phénomènes peuvent se manifester dans un groupe travaillant sur un projet innovant. En conséquence, une équipe de chercheurs à l’Université Paris Descartes en collaboration avec le groupe SBT a décidé de creuser cette thématique.

Le flow collectif ou le flow social correspondrait à la collaboration optimale d’une équipe de travail, aux moments de grâce où le groupe est absorbé dans la tâche commune, agit comme un tout en se coordonnant efficacement et se sentant bien ensemble. Phénomène social à part entière, le flow collectif ne se manifesterait pas souvent dans la vie d’un groupe, mais quand il apparaîtrait, l’expérience pourrait mener à des performances hors du commun. Dans le cadre de sa recherche, Milija Šimleša, doctorante en psychologie et chercheuse chez SBT, avec ses collaborateurs, a proposé un modèle théorique qui essaie de rendre compte de ce phénomène. De ce fait, son équipe de recherche est en train de tester le modèle par le biais d’expérimentations. Jusqu’à présent, il a été démontré qu’un niveau élevé d’identification de l’action commune augmente le flow ressenti par les membres d’un groupe. Plus précisément, nous avons observé que lorsque des objectifs très ambitieux sont assignés aux groupes, cela permet à la fois d’augmenter la motivation intrinsèque des individus et de souder le groupe. Ces deux effets conjugués expliquent le déclenchement du flow collectif. Par la suite, le MindFhack s’est présenté comme un terrain d’observation pertinent pour progresser dans la validation du modèle théorique du flow collectif. Milija s’y est donc rendue pour mesurer la qualité de la collaboration des équipes et le flow collectif pendant deux jours afin de mieux comprendre les mécanismes qui déclenchent ce processus ainsi que leur impact sur la qualité et l’originalité des projets qui en résultent.

Les neuf équipes pluridisciplinaires de MindFhack ont travaillé dans un espace du campus Bel Air à Villeurbanne sur leurs projets avec l’aide de coachs qui ont offert leur expertise et leurs suggestions méthodologiques. Le flow, la motivation, l’identification au groupe et l’auto-évaluation des performances ont été mesurés chaque jour, et les évaluations finales du jury sur les concepts proposés par les équipes ont aussi été collectées. Au début du MindFhack, nous avons également relevé les compétences des participants en théorie de l’esprit (TOM) : il s’agit de mesurer la capacité de chacun à détecter les états d’esprit (émotions, humeurs, intentions) chez autrui. En effet, des chercheurs du MIT ont récemment trouvé un lien entre les compétences en théorie de l’esprit au sein d’un groupe et la performance de ce groupe. Ainsi, des niveaux élevés de théorie de l’esprit semblent prédire l’intelligence collective du groupe.

Les 9 équipes de MindFhack ont travaillé pendant 48h sur leur projets d’innovation

Les scores de théorie de l’esprit ont permis de diviser les participants en trois catégories (scores faibles, scores moyens et scores élevés). Pour éviter tout biais, la catégorie de score a été communiquée aux participants sous la forme d’un profil psychologique portant le nom d’un super-héros. Afin d’avoir les équipes les plus contrastées possibles et tester notre hypothèse, il a été conseillé aux participants de constituer des équipes homogènes vis-à-vis de ces profils, en indiquant que ces profils super-héros ont tendance à mieux collaborer avec les personnes ayant le même profil qu’eux. Cependant, il y avait plusieurs critères à prendre en compte lors de la constitution des équipes, tels que la pluridisciplinarité, le choix de thème, les affinités, etc. De ce fait, nous n’avons pu espérer une homogénéité parfaite des équipes en termes de TOM.

Les résultats issus de cet événement ne soutiennent pas l’hypothèse que les groupes composés de membres sensibles aux ressentis d’autrui aient été plus performants que les autres. Néanmoins, d’autres indicateurs nous permettent de caractériser la performance des groupes de travail.

L’exemple de MindFhack nous enseigne que les groupes qui ont bien réussi tout en s’amusant ont réparti leur temps en deux phases : (1) la phase de flow qui leur a permis de souder le collectif (Figure 1. Et Figure 2.) , et (2) la phase de travail dur.

Les groupes qui ont le mieux réussi sont ceux qui ont ressenti une identité commune forte et un état de flow le premier jour de leur travail commun. Ces groupes avaient également une estimation élevée de leurs capacités créatives, même si celles-ci ne sont pas directement liées à la performance finale. Enfin, les indicateurs de motivation montrent que les groupes qui avaient un score faible de motivation le premier jour n’ont pas abouti à de très bons résultats à la fin. Le deuxième jour, les règles changent : le plus important pour aboutir à une bonne performance ne semble plus être le flow ou la motivation, mais plutôt les compétences d’exécution (s’organiser, décomposer les tâches, persévérer, etc.). Le deuxième jour il n’y a plus aucun lien entre le flow et la performance de l’équipe.

En conclusion, il semble que le vécu d’un groupe plaisant et performant soit séquencé en phases alternatives de flow (phase de fusion et de rêve) et de production (phase de coordination et de transpiration).

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