Santé mentale : le pouvoir du collectif

Clément Delvigne
Humans Matter
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4 min readDec 7, 2021

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À en croire les dizaines d’applications et autres solutions nées au cours de l’ère covidienne, prendre soin de sa santé mentale serait surtout une affaire individuelle et tournée vers soi. Il me semble pourtant impossible de penser l’individu en dehors du collectif tant notre espèce est devenue sociale au fil de l’évolution.

Plus que grégaires, les humains ont globalement besoin de faire partie de collectif(s). Le groupe est en effet un puissant outil d’apprentissage par l’observation, l’imitation, et par ses boucles d’interactions. Mais c’est avant tout un but en soi. D’ailleurs, certains principes incorporés très jeunes et maintenus par divers mécanismes psycho-sociaux, appelés « drivers » en Analyse Transactionnelle, vous influencent au quotidien dans vos pensées, vos émotions et vos comportements. « À quoi ça sert ? » me direz-vous… Je vous répondrai alors « à être accepté et aimé par les autres ».

Puisqu’il m’importe que vous compreniez bien, je vous illustre mon propos (qui ne fait que paraphraser celui d’un autre) : quand j’avais quatre ans, ma mère me disait souvent lorsque je dessinais « tu as encore dépassé, ce n’est pas bon », et j’entendais souvent mon père dire « quinze c’est bien, mais pourquoi tu n’as pas eu vingt ?». L’enjeu commençait à se préciser, mon oreille s’est donc aiguisée et j’ai de plus en plus finement perçu les messages similaires. Mon « driver » principal nommé « sois parfait » s’imposait. Aujourd’hui, je suis d’une fiabilité sans égal, j’analyse tout dans le détail et ne laisse rien au hasard, il faut que ça soit au millimètre. En revanche, ne comptez pas sur moi pour décider sur une intuition ou innover. J’ai appris que pour être digne d’être aimé et légitime dans ma famille, puis à l’école, puis au travail, je devais être parfait et ne commettre aucune erreur. L’amour et l’acceptation du collectif comme témoins d’une liaison à l’autre bien réelle nourrit le sentiment d’appartenance à un groupe, qui est central dans notre bien-être.

L’individu cherche donc « à faire partie de », et cela n’est pas toujours une partie de plaisir. Aussi vertueuse qu’elle puisse être, la dynamique d’un collectif peut parfois être dévastatrice pour une personne, comme l’illustre le phénomène de bouc-émissaire.

À l’inverse, le collectif peut-être salvateur, et ce n’est pas pour rien que les groupes de paroles connaissent tant de succès. Le groupe a cette capacité de vous arracher à votre sentiment de solitude, à votre culpabilité, et à vous permettre de partager des émotions que vous pensiez être le ou la seul·e à abriter. Rien de plus soulageant que de constater que mon voisin de droite vit une situation similaire à la mienne et que ma voisine d’en face qui semble si paisible est préoccupée de la même manière que moi.

Toutefois, pour créer cette dynamique positive, il est indispensable de créer les conditions de confiance et de bienveillance nécessaires pour que chaque personne puisse prendre sa place. Établir un cadre est donc fondamental. Dans un groupe de co-développement professionnel, par exemple, le cadre s’exprime notamment à travers une structuration des échanges et une organisation des rôles de chacun. Un animateur en garantit le respect et se charge de rythmer la séance pour qu’elle soit la plus profitable à chacun. Il a aussi pour mission d’approfondir les sujets pour en faire émerger des pistes de solutions concrètes. La démarche est éminemment orientée vers le présent et le futur, avec comme perspective le « comment faire », là où un simple groupe de pairs peut s’évertuer à rechercher le « pourquoi » d’un problème. L’intelligence collective mobilisée par le co-développement est donc une bénédiction pour l’individu qui ne perçoit pas d’issue à sa situation. L’organisation du conflit socio-cognitif grâce à la multiplicité des regards et des perspectives permet de casser la boucle maintenue par notre système automatique de pensée pour laisser place à un système réflectif empreint de recul et d’analyse critique (Cf systèmes 1 et 2 de Kahneman).

Finalement, l’objectif d’une séance est justement d’en produire un, d’objectif. Je veux dire par là que le collectif élabore un plan d’action menant à des pistes concrètes. Nous sommes donc passés du collectif comme but [limbique] humain, espace d’expression, échos des émotions et des pensées, au collectif cortical, organisé pour produire des solutions utiles pour tous, et ainsi permettre à chaque participant de recentrer son locus de contrôle sur lui-même.

Et vous conviendrez que se rendre capable d’agir, et donc d’avancer vers ses objectifs, est un levier important de confiance en soi, elle-même centrale pour votre santé mentale.

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