Choisir de survivre en faisant un pas de côté, le cas d’un grand groupe

Eric ALONSO
Humans Matter
Published in
4 min readMar 22, 2020

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Imaginez l’entité française d’une (très) grande entreprise du BTP, dans les années 2000, confrontée à la forte crise du bâtiment : diminution drastique de la construction neuve, tension sur des marges déjà structurellement faibles, concurrence acharnée entre majors et dans le même temps remontée par capillarité des difficultés des PME du secteur, difficultés de recrutement qualifié, changements réglementaires imprévus… Toutes ces conditions créent une crise majeure dans cette entreprise, encore renforcée par des affaires internes et des dissensions entre cadres dirigeants.

Cette situation, pourtant explosive, met du temps à être traitée au plus haut niveau. Un message du Directeur Général posant clairement le risque de disparition de l’entreprise déclenche enfin une première réaction : réduire la voilure, diminuer périmètre et effectifs, et rappeler aux clients que l’entreprise est la meilleure de son marché au regard de son histoire et de ses réalisations.

Au moment de lancer ces actions socialement difficiles, le Directeur Général associé à 2 ou 3 membres de ses équipes doutent. Ils décident de prendre plus de temps de réflexion mais aussi de consulter de façon significative en interne, et en externe, auprès de leurs clients et parties prenantes.

Après 3 mois de travail un plan alternatif émerge. Il repose sur des dimensions encore rarement traitées à ce moment-là (il est d’ailleurs intéressant de voir que ces actions sont souvent reprises aujourd’hui, avec un marketing différent, plus séduisant) :

- Une organisation plus agile, autour de projets, d’équipes pluridisciplinaire, d’experts en appui et non en structuration, du développement de la coopération, mettant dans le même temps fin à des baronnies internes,

- Des pratiques managériales revues, notamment au travers d’une culture de managers entrepreneurs en réseau, mais aussi en réaffirmant l’importance de la sécurité et de la responsabilisation des personnes sur les chantiers,

- Des processus RH adaptés, notamment le feed back régulier plus que l’évaluation annuelle et la mobilité fonctionnelle et géographique permettant de développer les compétences tout en positionnant les ressources aux bons endroits,

- La mise en place de la « conception à l’écoute du marché », permettant une meilleure prise en compte des attentes des clients directs et finaux, et générant / renforçant toutes les innovations actuelles du BTP (le BIM -building information modeling, les données, les autoroutes intelligentes…).

Grâce à une communication massive, à des réseaux d’ambassadeurs internes, à un investissement fort en communication, à de très nombreuses actions de développement des compétences et une application quasi militaire (et immédiate) des nouvelles organisations, l’entreprise a passé les 5 années suivantes sur une croissance à 2 chiffres.

Quels sont les enseignements à tirer de cette histoire vraie ?

Oui, l’adversité crée une prise de conscience, certes de façon plus ou moins rapide : il a fallu poser explicitement le risque majeur (voire même l’exagérer, avec un scénario « voilà ce qui va se passer si l’on n’agit pas », « on ne sera pas soutenu par le groupe ») pour qu’il soit intégré.

Mais la prise de conscience n’est pas suffisante.

La réponse première a été de réduire le périmètre tout en continuant à fonctionner de la même façon et de prouver son expertise par ses réalisations passées, avec une forme d’arrogance sans doute un peu française. Des mesures de repli mais peu de changements…

C’est en allant travailler plus en profondeur que la prise de conscience a pu conduire à de véritables actions salutaires. Nous en retirons quelques enseignements en formes de guides pour l’action :

- Considérer tous les collaborateurs non pas comme des objets devant appliquer mécaniquement les nouvelles orientations : ils sont bien les sujets de l’histoire, et s’ils ne sont pas traités comme tels, écoutés / entendus ils nieront la réalité même de la prise de conscience ;

- Se décentrer : la remise en question de modes de fonctionnement historiques, en se décalant de sa puissance passée pour aller vers d’autres propositions de valeur, en lien avec les vrais besoins (quitte à en créer certains par innovation),

- Créer les conditions de l’action : la liberté ne s’exprime jamais qu’en situation et non pas abstraitement. L’action humaine n’a jamais lieu in abstracto, mais dans des conditions données. L’entreprise doit donner les moyens, le cadre, les systèmes, par de l’investissement et de la communication.

Ainsi le fait de prendre du temps, d’écouter les acteurs internes et externes dans une démarche d’intelligence collective avant l’heure, de questionner les usages (dans un bâtiment le « tout ingénieur » ne répond pas forcément aux attentes des habitants), de revenir à des basiques comme la sécurité, ont permis à cette entreprise de se reconstruire au travers de 2 axes, toujours solides aujourd’hui :

- Des interactions internes et externes très différentes et surtout maintenues, entretenues en permanence,

- Le bon équilibrage entre performance économique et sociétale, mesurée au travers d’indicateurs partagés.

Finalement, c’est ce pas de côté, écouter et se décentrer, qui a rendu possible l’action, le changement et le rebond de l’entreprise.

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Directeur associé SBT Human(s) matter, more than 20 years of experience in deploying transformation strategies